Catégorie: La parole à

Dialogue avec Pauline basso et Adèle Godefroy

mardi 23 avril
La parole à

Présentation de Pauline Basso et d’Adèle Godefroy dans le cadre de leur ouvrage « Les cartes postales de Michel Butor ».

Pauline est doctorante en littérature française au sein de l’équipe Handling. Elle prépare une thèse autour des gestes d’assemblages d’écrivains (Michel Butor, Marguerite Duras et Claude Simon) et de leurs processus créatifs.

Adèle Godefroy est photographe, enseignante et chercheuse. A la suite de sa rencontre avec Michel Butor en 2013, elle fait une thèse sur l’étude des interactions entre la pratique photographique du poète et son écriture. Elle anime régulièrement des ateliers d’écriture créative tout en poursuivant sa pratique personnelle de la photographie.

 

  • Comment est née l’envie d’étudier les cartes postales butoriennes ?

Pauline Basso – Ce livre s’inscrit dans un projet de recherches plus large, dirigé par Anne Reverseau à l’Uclouvain qui s’intéresse au maniement, à la manutention et à la manipulation des images par les écrivains du XIXe siècle à nos jours : Handling[1], dans lequel mes recherches s’inscrivent. En effet, je m’intéresse à l’influence de la manipulation d’images par les écrivains (en particulier Michel Butor, Marguerite Duras, Claude Simon ou encore Henry Bauchau) dans le processus d’écriture. En consultant les archives de Dotremont aux Archives et musée de la littérature pendant le confinement, je suis tombée, un peu par hasard, sur des cartes postales envoyées par Michel Butor et j’ai été tout de suite frappée par le soin accordé aux assemblages et par la diversité des matériaux utilisés par l’auteur. Au fil de mes recherches, je me suis rendu compte que personne n’avait encore exploré cette pratique butorienne qui me semble pourtant centrale dans son œuvre : j’ai alors eu l’idée de leur consacrer un livre qui ne se concentrerait pas sur le contenu de la correspondance (ce qui avait déjà été fait), mais sur sa forme et qui s’attacherait à insister sur les matières, sur les gestes que convoquent leur réalisation ainsi que leur lecture.

Adèle Godefroy – Lorsque Pauline m’a contactée pour me proposer le projet, j’ai été tout de suite très enthousiaste. J’avais terminé ma thèse [2] où je questionnais la richesse des liens que Michel Butor entretenait avec les images et les artistes, et j’ai trouvé la proposition de Pauline originale. Michel Butor avait pratiqué l’art de la photographie (1951-1962), et il lui arrivait d’écrire ses lettres sur le talon d’une photo qu’il avait faite, réservant un espace pour cela. Je n’ai pas eu le temps de retrouver ces archives de ses cartes postales photographiques, qui mériteraient tout un travail… Photographier les cartes postales était une nouvelle occasion d’observer la manipulation que Michel Butor faisait des images – après les siennes, celles des autres – et de se laisser surprendre par la diversité et la grande intelligence de ses compositions et collages. Je crois que Michel Butor était un grand amoureux des images sous toutes leurs formes et de leur potentiel narratif. On y croise les sensibilités, les histoires personnelles et l’intimité du quotidien, le lien authentique dans les amitiés qui ont été essentielles à sa vie. Quant au travail de découpage et de collage à la table, il y a là une nouvelle facette de cet écrivain que, décidément, on n’aura jamais fini de connaître !

[1] This project has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation program under grant agreement N° 804259.

[2] Adèle Godefroy, Le Prétexte photographique, thèse de doctorat soutenue le , Sorbonne-Nouvelle, 2021.

@Michel Butor à Marie Morel. Lucinges, 2 avril 1990

  • Pouvez-vous nous en rappeler le concept et la diffusion?

Pauline Basso – Cette pratique remonte aux années soixante, lors de son voyage à Albuquerque. Au départ, il s’agissait de cartes de vœux[1] réalisées avec le matériel de couture de son épouse, Marie-Jo. Selon Butor, comme cela a amusé ses amis, il a continué et n’a plus jamais abandonné cette manière de faire. Au fil du temps, la technique s’est perfectionnée et les matériaux utilisés se sont diversifiés : petit à petit, des cartes routières, des papiers collants japonais ou encore du scotch d’électricien ont fait leur entrée. Ce qui n’était au départ qu’un jeu, un délassement comme le disait Butor est devenu un point central de son organisation[2] (il y consacrait son jeudi après-midi) et a rejoint l’œuvre littéraire. Le concept de latence et de ralentissement a pris une importance dans sa pratique : il prenait le soin de poster chacune de ses cartes, y compris celles destinées à Martine Jaquemet, sa voisine et n’hésitait pas à envoyer une carte à quelqu’un pour lui dire qu’une autre allait arriver.

[1] Michel Butor et Emès-Manuel Matos (de), « Entretien », dans 1001 livres d’artistes. Le livre de dialogue dans l’oeuvre de Michel Butor, Marseille, Atelier Vis-à-vis édition, 2009, p.70.

[2] Michel Butor et Catherine Flohic, A l’écart, film réalisé par François Flohic, Argol éditions, 2009.

 

@Bureau de Michel Butor par Adèle Godefroy

  • Que vous a apporté la résidence au cœur de la maison Michel Butor dans la poursuite de votre recherche ?

Pauline Basso – Les visites à l’Archipel ont toujours été des moments charnières dans mes recherches. La première a confirmé l’importance des gestes et de la manipulation d’images dans le travail de Michel Butor, la seconde m’a permis de rencontrer Adèle et de l’entendre parler de son travail et de l’importance qu’elle accorde aux matières et la troisième a donné naissance à une magnifique expérience que l’on rencontre trop peu dans la recherche : pouvoir manipuler ses objets de recherche dans leur cadre de création et surtout les voir au travers des yeux d’une artiste. Le travail avec Adèle a confirmé un élément dont j’étais déjà convaincue : l’importance de laisser une place à la création dans la recherche ! A la fois chercheuse et artiste, son regard sur les cartes était différent du mien et m’a invité à interroger plus profondément mes conceptions. J’ai pu voir ces assemblages de cartes postales sous un autre regard, considérant l’importance des reliefs et des matières. Nous avons eu énormément de chance de pouvoir travailler dans la maison de Michel Butor, de pouvoir prendre certaines photographies dans son bureau. J’aimerais encourager les chercheurs à aller à la rencontre des artistes et de l’univers de création des auteurs ou artistes sur lesquels ils travaillent, cela offre une richesse incroyable. 

Adèle Godefroy – Je n’étais pas revenue à l’Ecart depuis la disparition de Michel Butor. C’est un lieu très accueillant où l’on se sent tout de suite dans les meilleures conditions pour travailler : je n’ai pas de mal à imaginer combien Michel Butor pouvait y trouver un refuge après ses nombreux déplacements. Il faut toujours un pied à terre qui ‘sauve’ : pour accueillir les énergies déployées à droite à gauche, se recueillir et laisser mûrir les projets naissants ou ceux à venir… Revenir à Lucinges m’a permis de renouer avec ‘’l’univers Butor’’ : après tout, c’est à la suite d’une première visite amicale de l’auteur que tous mes travaux avaient commencé. Rien de mieux que d’être sur place pour continuer de ressentir la présence de Michel Butor dans nos engagements esthétiques. Avoir la possibilité de photographier ses cartes sur place était une chance : c’était aussi se fondre dans tout un environnement très inspirant, d’où sont venus tant de gestes de création ! Je pense à ceux de Michel Butor, mais aussi à tous ces artistes qui lui rendaient visite, ses amis avec qui il dînait aux dernières lueurs du jour.. Combien d’échanges sont venus nourrir ce lieu !

Sur place, j’ai apprécié la liberté totale que Pauline prenait bien soin de mettre en avant. J’ai souhaité travailler avec ce que j’avais sous la main : je n’ai pas apporté de lumière artificielle ou de présentoirs pour mettre en valeur les cartes, par exemple. J’ai joué avec des éléments récupérés dans le bureau de Michel Butor pour les mettre en scène, travaillé aux moment les plus adaptés pour la lumière naturelle (et même joué avec les courants d’airs du jardin !). Après avoir lu la totalité des correspondances que j’avais à disposition, je me suis efforcée d’adapter ma prise de vue à ce que je ressentais des échanges, très divers, selon les correspondants.

 

  • Pouvez-vous nous présenter l’ouvrage publié par les éditions du Canoé ?

Pauline Basso – Cet ouvrage est, selon moi, la rencontre entre le monde universitaire et la création artistique. A travers la préface de Mireille Calle-Gruber – qui est à la fois riche, intéressant et poétique – et mes textes, le lecteur peut découvrir ce continent inexploré de l’œuvre butorienne d’une manière plus théorique, sans pour autant être trop technique : le but est de donner envie d’en découvrir plus et de donner des clefs de lecture possibles des différents rassemblements de photographies. Le texte et, surtout, les photographies d’Adèle donnent à voir la matérialité de ces assemblages, la rencontre des différentes matières et la diversité des formes que ceux-ci peuvent prendre. Au final, nous avons abouti à un ouvrage assez hybride, très beau, mais à l’image de son objet : difficile à classer !

Adèle Godefroy – Pour ce qui est de la composition des chapitres et de l’agencement des images, elle s’est faite naturellement lorsque je prenais les photos. Manipuler les cartes revenait à comprendre les différentes actions que Michel Butor mettait en œuvre dans ses compositions : « Bricoler » où j’ai imaginé les gestes de découpe, de trous, de collage et même de couture ; « Jouer avec les images » où l’on s’amuse et se surprend en découvrant l’intelligence des collages et des images à ouvrir dans un certain ordre ; « Se mettre en scène » où Michel Butor joue de portraits que l’on a fait de lui, souvent ceux de son ami Maxime Godard, qui lui fournissait des petits tirages qu’il dissimulait dans ses compositions ; « Toucher, se lier », pour des compositions très délicates, avec des échos à l’intime et au personnel de ses profondes amitiés ; enfin « Images d’écritures » parce que j’ai pu constater combien l’écriture elle-même, parfois manuscrite sur le recto, devient elle-même une image avec laquelle jouer.

  • D’autres évènements sont-ils prévus autour de ce projet ? (conférences, articles ou autres..)

Pauline Basso – Une présentation parisienne a eu lieu le 22 mars et je cherche à organiser quelque chose en Belgique, mais je n’ai pas encore de date pour l’instant : affaire à suivre donc. Adèle et moi serons présente à l’Archipel lors de la Fête du livre à Lucinges en octobre. Pour l’instant, rien de plus précis n’est prévu, mais je serais ravie de pouvoir organiser des choses autour de cet ouvrage (conférence, petite exposition ou autre). Evidemment, je n’abandonne pas cette thématique puisqu’elle est centrale dans mes recherches, celle-ci continuera donc à m’accompagner quelques temps !

« Les cartes postales de Michel Butor » par les éditions du canoë. Disponible à la boutique du Manoir des livres.