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Entretien avec Florent Rousseau, relieur

mardi 02 septembre
La parole à

Aujourd'hui, nous donnons la parole à Florent Rousseau, relieur.

Vous exercez en tant que relieur de livres, et notamment de livres d’artiste. 

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier ?

Mon métier consiste en premier lieu à assurer la conservation des documents que mes clients me confient. Ces documents peuvent être des livres, des manuscrits, ou des documents épars qu’il faut assembler. Puis vient la mise en valeur de ces mêmes documents. Là aussi plusieurs possibilités sont envisagées : soit une reliure toile ou cuir, suivant le budget du client ; soit pour certains livres, une reliure de création en tenant compte du texte proposé et dans certains cas des illustrations.

Cette synthèse et cette alchimie nous obligent à choisir tout d’abord la structure la mieux adaptée (plein cuir, plats rapportés ou autres structures) puis vient la partie créative où là aussi, la partie recherche s’impose : de la teinture des cuirs à la mise en place d’éléments décoratifs suggérés par le texte, ou par les illustrations. 

Peu à peu, le relieur créé un style, signe de connaissance auprès des bibliophiles.

Il existe également la restauration des livres : dans ce cas le relieur est uniquement là pour réparer les reliures sur livres anciens.

Portrait de Florent Rousseau
Portrait de Florent Rousseau

Quelle formation avez-vous suivie pour apprendre cette profession ?

Après un baccalauréat littéraire, je suis entré à l’UCAD à Paris (Union Centrale des Arts Décoratifs), section reliure dorure pendant quatre ans. En parallèle, j’ai suivi des cours de dorure à l’école Estienne, située dans le 13e arrondissement. J’ai d’autre part suivi de nombreux stages à l’étranger et principalement à l’école d’Ascona en Suisse.

Pour chaque projet de reliure, comment envisagez-vous le travail et quelles sont les différentes étapes ?

La première étape consiste en un audit complet du livre confié : vérifier la pagination ainsi que s’il y a lieu, que toutes les gravures ou dessins y soient. Commence alors le débrochage du livre avec les réparations papiers qui vont avec. Puis viennent les opérations qui permettent d’obéir un corps d’ouvrage prêt à être couvert (cuir ou papier). 
Dans le cas d’une reliure de création, les recherches décoratives impliquent des essais dans plusieurs directions pour n’en garder qu’une seule à la fin. Puis vient la réalisation finale du projet avec dans la plupart des cas un partenariat avec un doreur qui se charge du titre.
Le tout est souvent accompagné d’une boîte ou d’une chemise étui, afin de protéger la reliure de création.

Avez-vous une reliure dont vous êtes tout particulièrement fier de nous présenter ?

Une reliure réussie est une reliure qui est une évidence : une synthèse. Choisir une reliure particulière parmi plus de mille est une gageure. On peut retenir certains livres qui nous ont plus marqués que d’autres. Je pense plus particulièrement à un livre que l’on m’avait confié avec des originaux de Jean Arp ou un autre renfermant un manuscrit sur parchemin du XVe siècle consacré à Gérard de Roussillon. Dans des styles complètement différents, je pense que mon esprit créatif a été au rendez-vous. Peut-être parce qu’il fallait dépasser l’œuvre pour imposer ma propre vision. D’autres reliures bien sûr, pour les avoir revues, me donnent une certaine satisfaction : elles passent le temps et gardent toujours cette force que je m’efforce de donner à chacune de mes reliures.

Reliure sur l'ouvrage intitulé "Victoire sans Victoire" d'André Velter et Alain Bar
Reliure sur l'ouvrage intitulé "Victoire sans Victoire" d'André Velter et Alain Bar
Reliure sur l'ouvrage intitulé "La moitié du geste" de Bernard Noël et Patrice Vermeille
Reliure sur l'ouvrage intitulé "La moitié du geste" de Bernard Noël et Patrice Vermeille

Dans le cadre de votre enseignement, quelles sont pour vous les principales qualités requises chez vos élèves ?

J’ai été professeur de décor du livre très jeune à l’atelier d’arts appliqués du Vésinet. De nombreux élèves sont venus assister à mes cours. Transmettre, a toujours été l’une de mes priorités. L’élève est là pour apprendre, questionner et mettre en pratique ce que je lui montre. L’élève doit être dans un premier temps une éponge puis il doit s’approprier les techniques et les retranscrire avec sa personnalité: rien ne sert de copier. L’imagination et le talent ne s’apprennent pas.
Comme dans tous les domaines, certains élèves se contentent de restituer l’acquis, d’autres volent de leur propres ailes parce qu’ils savent qu’ils ont quelque chose à dire et, dans certains cas, à transmettre.

Pouvez-vous nous faire part de votre actualité ?

Avec mon association LE CERCLE après l’exposition Michel Butor de mars à juin 2026, nous avons comme projet une grande exposition consacrée aux auteurs régionaux. Chaque relieur choisira un auteur de sa région natale et réalisera une reliure de création. Cette exposition sera l’occasion de montrer des documents ou objets spécifiques à l’auteur choisi. J’aimerais que cette exposition soit itinérante et circule dans chacune des régions concernées. Nous commencerons par le Centre-Val de Loire. L’exposition s’appellera « Né quelque part ».
Pour ma part, je vais me consacrer en 2027 aux 50 ans de l’AAAV (Atelier d’arts appliqués du Vésinet) en tant que président de cette institution. J’aimerais marquer le coup par diverses manifestations.

Comment envisagez-vous l’exposition de votre association LE CERCLE au Manoir des livres en 2026 et pouvez-vous nous la présenter en quelques mots ?

Je ne l’envisage pas, c’est une évidence que cette exposition se devait d’être au Manoir des livres. Nous travaillons avec mes élèves depuis deux ans sur ce projet. 

2026 sera le Centenaire de Michel Butor (1926-2016), l’occasion de lui rendre hommage et pour nous relieurs, notre matrice étant le livre, nous sommes les premiers concernés. L’œuvre est immense, ce qui a permis à chacun et chacune de choisir un ouvrage. Les principaux livres de Michel Butor seront représentés et pour certains accompagnés d’illustrations. Ce parcours ouvre des portes à la compréhension de certains textes, sans oublier le lien avec les artistes qui ont collaboré à la plupart des ouvrages.

Magie, complicité, jeu se cotoient dans cette approche de l’œuvre de Butor. Mon association LE CERCLE me laisse à penser que cet auteur n’a pas pris une ride et libère la création : il reste le gardien, le meilleur guide pour cette exposition. 
Une exposition ou plutôt un voyage laissez-vous embarquer …