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Entretien avec Françoise Maréchal-Alligand, éditrice de livres d’artiste

vendredi 17 février
La parole à

Présentation de Françoise Maréchal Alligand, fondatrice des Éditions FMA

J’ai eu une carrière professionnelle de publicitaire en agences, riche en rencontres et projets depuis les années 80. A partir des années 90, je me suis orientée vers la communication éditoriale et digitale dans le secteur des télécommunications.
J’ai toujours dessiné et ai été fascinée par les arts plastiques. C’est Léonard Cohen, Brassens… qui m’ont ouverte à la poésie, puis la lecture de Baudelaire, Reverdy, René Char, … Mes rencontres avec les créatifs, les artistes m’ont toujours inspirée et nourrie.

Portrait de Françoise Maréchal-Alligand

Comment est venue l’envie de réaliser et de publier des livres d’artiste/ livres de dialogue?

Bernard Alligand, mon époux, collaborait depuis quelques années avec plusieurs éditeurs dont les éditions, Matarasso, de Rivières, Arichi… et a réalisé des livres d’artiste avec plusieurs poètes dont Jean-Pierre Geay, Michel Butor, Kenneth White, Régine Detambel, … J’étais admirative de ce médium, œuvre littéraire et œuvre d’art qui invitait (presque) tous les sens ; la vue, le toucher mais aussi, l’odorat (encre, papier) et par extension l’ouïe via les lectures par les auteurs… Après plusieurs décennies dans le marketing et la communication, en quête de sens, je souhaitais m’exprimer au travers d’une création qui m’était personnelle. L’expérience de Bernard a facilité mon immersion dans cet univers singulier et m’a permis d’exprimer ma sensibilité artistique et littéraire.
En 2007, j’ai demandé à Bernard de me mettre en relation avec Michel Butor dont je connaissais, surtout par les commentaires littéraires, le roman La modification. Je m’y suis plongée, puis, j’ai lu plusieurs œuvres poétiques et aussi, Passage de Milan. Un préalable à toute collaboration avec les poètes, les lire !

Michel Butor à Lucinges, 2010 ©Maxime Godard

Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition ?

Michel Butor, Unnur Oradottir-Ramette (ambassadrice d’Islande en France), Bernard Alligand, Sigurdur Palsson (poète), Islande, 2014

Créées en 2008 à Paris, les éditions d’art FMA sont la synthèse de ma vie professionnelle et personnelle. La collection représente aujourd’hui une trentaine d’éditions originales avec de nombreux auteurs d’aujourd’hui et des artistes, dont le premier Michel Butor ! Bernard est l’artiste peintre avec lequel j’ai le plus collaboré. Je trouve chez lui une richesse créative rare et notre vie de couple facilite nos échanges.

A la recherche de l’excellence, j’ai voulu conjuguer la tradition des métiers du livre en collaborant avec des maîtres-artisans tels que l’atelier du livre d’art et de l’estampe de l’In, puis, plus récemment, l’atelier des Montquartiers, et, la modernité avec des auteurs et artistes actuels et présents. Chaque livre offre un dialogue équilibré entre textes inédits et images originales dans une structure maniable, intime. 

J’attache une grande importance à la mise en lumière de ces ouvrages d’exception via des rencontres et la diffusion en médiathèques, bibliothèques, musées et librairies spécialisées. Je réalise et publie sur ma chaîne YouTube et mon site internet les vidéos des livres lus à chaque fois que c’est possible par l’auteur. Je développe également une série de témoignages de responsables de collections de livres d’artiste en institution. 

Le livre d’artiste ou de dialogue est un médium merveilleux, qui ouvre tant de portes sur nos émotions. Encore insuffisamment connu, je souhaite participer à le faire découvrir au plus grand nombre et créer de l’intérêt pour ces œuvres littéraires et plastiques.

 

Quelles sont les caractéristiques techniques des livres que vous publiez ?

Tradition, audace et créativité contemporaine caractérisent les Éditions d’art FMA. Je réalise la mise en page du texte, assiste au tirage typographique sur papier d’art, et livre les exemplaires imprimés à l’artiste pour ses interventions plastiques entièrement originales sur chaque exemplaire. L’édition originale, signée par l’auteur et l’artiste, est limitée à peu d’exemplaires (30 à 45 ex., parfois moins), présentée en coffret ou sous étui. L’objet est précieux, c’est une œuvre unique qui aura une vie parallèle dans sa forme numérique et sera l’occasion de rencontres poétiques et artistiques.

La restauration du corps féminin, de Michel Butor et Bernard Alligand, 2008

A quelle période avez-vous commencé à collaborer avec Michel Butor ?

Avec Bernard Alligand, Michel et Marie-Jo Butor, séance de dédicaces à la librairie-galerie Les Arcades pour "La restauration du corps féminin", 2008

J’ai commencé ma collaboration avec Michel Butor en 2007 par la correspondance épistolaire devenue si rare aujourd’hui. J’ai ainsi découvert la poésie en image des cartes Butor et ses messages prompts, brefs et précis. C’est en mars 2008, lors de la dédicace de notre premier livre à la librairie-galerie Les Arcades à Paris que j’ai rencontré Michel Butor pour la première fois. Je ne sais pas lequel des deux était le plus intimidé. J’étais fascinée par tant de simplicité, de génie et d’allant. Il était venu en famille avec son épouse Marie-Jo et une de leurs filles, Agnès.

Nous avons eu, sur les presque 10 ans de collaboration avec Michel Butor, plusieurs projets toujours initiés avec beaucoup d’enthousiasme. Sont parus : en 2008, La restauration du corps féminin ; en 2011, Remontant le fleuve ; en 2012, Hexagones en désarroi ; en 2013, Carré des météores ; en 2014, Ruines d’avenir ; en 2015, Retour d’Islande ; en 2016, Aux jardins de la licorne, Baraque, La jeunesse de Newton et La pomme et ses pépins. Les rencontres se sont multipliées et chacune d’elle nous a un peu plus rapprochés. En 2013, Bernard et moi avons organisé des expositions de livres d’artiste écrits par Michel et illustrés par Bernard à la médiathèque St Corneille à Compiègne, puis à la librairie Blaizot pour la dédicace de Carré des météores. Les deux expositions ont été l’occasion de rencontres chaleureuses avec le public. Nous sommes partis en 2014 en Islande à l’occasion de l’exposition « Michel Butor et ses amis peintres » à la bibliothèque nationale à Reykjavik, sous le commissariat de Bernard Alligand. C’était le dernier grand voyage de Michel avec sa fille Agnès, un souvenir inoubliable. Nous avons également organisé une magnifique exposition de l’ouvrage Ruines d’avenir, une œuvre collective aux 7 artistes, au Logis royal du château d’Angers en collaboration avec la Ville d’Angers, les équipes de la bibliothèque Toussaint, dirigée par Jean-Charles Niclas et Marc-Édouard Gautier, et l’association Angers Musées Vivants.

Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur le processus de création des ouvrages avec Michel Butor et sur la création ?

Je peux vous citer un exemple, celui réalisé autour de la tenture de la Dame à la licorne du musée de Cluny. Nous venions d’achever l’édition originale de Ruines d’avenir, inspirée de la tenture de l’Apocalypse d’Angers. Je recherchais un projet similaire, à partir d’une œuvre patrimoniale emblématique. Après un bon déjeuner à la maison, nous sommes partis sur l’idée de porter un regard masculin et féminin en miroir sur la tenture de la Dame à la licorne. Bernard et Michel se sont associés pour le regard masculin. J’ai proposé à Régine Detambel et Patricia Erbelding, avec lesquelles j’avais déjà collaboré, de porter le regard féminin sur la tenture. Michel était enthousiasmé par ce projet et s’est rendu les jours suivants au musée de Cluny pour revoir la tenture de la Dame et rebondir sur la devise « Mon seul désir » ! Son texte est une merveille de condensé sur les ornements, les sens, l’histoire imaginée de la Dame et de l’amour courtois. Bernard et Michel ont pris le parti d’être descriptifs en y apportant toute leur poésie. Nous avions organisé une rencontre au musée de Cluny et l’exposition Magiques licornes était programmée de juillet 2018 à février 2019 incluant l’ouvrage complet. Hélas, Michel nous a quittés la veille de ses 90 ans et n’a pu participer à ces rencontres qui lui auraient fait, j’en suis sûre, immensément plaisir.

Ruines d'avenir, 2016, éditions FMA
Aux jardins de la licorne, de Michel Butor et Bernard Alligand, 2016
Rencontre, exposition et parution dans le catalogue du Musée de Cluny de l'ouvrage "Aux jardins de la licorne", 2016

Sur quels projets de publication travaillez-vous actuellement ?

Tout d’abord je souhaite vous parler du « petit-grand dernier » au double titre. Les dormeurs de la forêt – l’Humus du monde, de Paola Pigani et de l’artiste photographe Sophie Zénon, s’ouvre sur un monde invisible où végétal et animal semblent détenir les clefs d’un secret. Le livre en leporello comprend 2 œuvres photographiques, auxquelles s’ajoute, pour l’exemplaire de tête, un leporello en 8 volets d’une œuvre photographique sublime ! J’ai pour projet d’organiser une dédicace au Musée de la chasse et de la nature prochainement. A cette heure, je n’ai pas encore de réponse ferme, je croise les doigts. Vous pouvez découvrir le livre en vidéo ici
Je travaille actuellement sur d’autres éditions originales qui paraîtront d’ici la fin de cette année avec Alain Freixe et Ernest Pignon-Ernest, Michaël Glück et Bernard. D’autres projets sont en gestation, je frémis d’enthousiasme et d’espérance !