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Mireille Calle-Gruber, écrivain, professeur de littérature et esthétique

vendredi 10 avril
La parole à

Avril 2020

Mireille Calle-Gruber est écrivain, professeur de littérature et esthétique à la Sorbonne Nouvelle à Paris où elle dirige le Centre de Recherches en Etudes Féminines et Genres. Elle est auteur et co-auteur d’une trentaine d’ouvrages.

Elle a co-dirigé le Dictionnaire Universel des Créatrices (des Femmes, 2013, éd. numérique 2018) et le Dictionnaire sauvage Pascal Quignard (éd. Hermann 2017), dirigé et préfacé Sur le geste de l’abandon – Pascal Quignard (éd. Hermann, 2020) ainsi que le collectif Peter Handke Analyse du temps (éd. Presses Sorbonne Nouvelle, 2018) et écrit la biographie de Claude Simon, Une vie à écrire (éd. Le Seuil 2011).

Ayant-droit moral pour l’œuvre de Claude Simon, elle fait paraître régulièrement inédits et études du Prix Nobel de Littérature.

A la demande d’Aurélie Laruelle, responsable de l’Archipel Butor, elle revient ici sur sa rencontre avec l’écrivain Michel Butor et évoque avec sensibilité leurs 35 années de collaborations.

De quand date votre première rencontre avec Michel Butor et dans quel contexte s’est-elle effectuée ?

 

C’est dans les livres, d’abord, que j’ai rencontré Michel Butor. J’avais soutenu une première thèse sur le Nouveau Roman, en 1974, à l’Université de Montpellier, en particulier sur les œuvres de Michel Butor, Alain Robbe-Grillet et Claude Simon, alors que, Professeur détachée aux Affaires Etrangères, je me trouvais en poste en Egypte, au Centre Culturel et au Lycée Français du Caire.
Le poste suivant, en Italie, à l’Università degli Studi « Gabriele D’Annunzio » de Pescara, m’avait conduite à traduire moi-même cet ouvrage, et je venais de le publier à Rome : Itinerari di scrittura. Nel labirinto del Nouveau Roman (Bulzoni Editore, 1982), lorsque je fus nommée en Allemagne Fédérale, à l’Institut Français et à l’Université de Heidelberg où j’avais la charge (je devrais dire : le plaisir) de travailler aux Relations Universitaires, c’est-à-dire d’organiser colloques, conférences, rencontres d’écrivains, échanges d’étudiants.
C’est ainsi que je reçus une lettre de Michel Butor ! Sa fille aînée, Cécile, venait d’obtenir pour 2 ans un poste de recherche au Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire, sis tout près de Heidelberg, et il demandait de l’aide pour accompagner son installation.
Vous imaginez mon émotion, moi qui étudiais depuis des années les ouvrages de cet écrivain! sans oser l’approcher !
Outre l’amitié qui s’est vite développée avec la charmante jeune femme qu’était Cécile, et avec son petit garçon Sorlin, j’ai eu la joie d’accueillir régulièrement Michel Butor à l’Institut Français ainsi que dans mon séminaire à l’Université. Il acceptait volontiers mes invitations lesquelles étaient autant d’occasions de venir voir son petit-fils !
Au début, j’étais très intimidée, par la stature de l’écrivain, certes, et plus encore, peut-être, par la propre timidité de Butor que je découvrais derrière l’imposant personnage ! Mais l’entente littéraire s’est faite immédiatement. Et puis, nous avions en commun, dès le début, notre expérience (même si différente!) de l’Egypte, notre fascination pour la culture de l’Ancienne Egypte et notre empathie avec les Egyptiens nos contemporains.
Nous avons inventé à Heidelberg des tas de formes de manifestations : il a fait de mémorables lectures de ses œuvres, déplaçant des foules ; il y a eu des rencontres avec ses traducteurs, Gerda et Helmut Scheffel ; une exposition dans les salles de l’Université « 100 livres de Michel Butor » avec beaucoup de livres d’artistes. Cette exposition a été l’occasion pour Michel d’écrire un Poème bilingue et bicolore lequel a constitué l’affiche et un tirage numéroté de sérigraphies – il faut que j’en donne une au Manoir des Livres!
Nous avons même tourné un film vidéo avec la « cellule audio-visuelle » de l’Institut Français de Saarbrücken où travaillait Fabrice Dugast : Les Métamorphoses-Butor, composé d’entretiens, avec Butor, mais aussi avec Jean-François Lyotard, Françoise van Rossum-Guyon, Béatrice Didier. Certaines séquences ont été tournées chez Butor qui habitait alors à Gaillard, dans la « Maison du Docteur Thé», rebaptisée par lui « A la frontière » : c’est là que j’ai tourné les entretiens avec Jean Starobinski, Henri Pousseur et Lucien Dällenbach. Nous avons ainsi réalisé un DVD (aujourd’hui converti en CD) et publié le livre des transcriptions.
Travailler avec Michel Butor était toujours à la fois sérieux et ludique, inventif, d’une grande liberté!
Il faut ajouter que nous avons eu la chance de partager une « idée de l’Université » qu’incarnait parfaitement la « Ruprecht-Karls-Universität » de Heidelberg, l’une des plus anciennes d’Europe où, dans un site sublime largement consacré à la vie étudiante, sur les bords de le romantique Neckar, s’enseignait la grande tradition humaniste philologique-philosophique, non sans faire toute la place aux recherches de pointe en biologie, médecine, et littérature contemporaine. C’est à Heidelberg que j’ai découvert, grâce à Arnold Rothe, « les littératures francophones » (que l’Université française n’enseignait pas encore), et que j’ai rencontré Assia Djebar !
Ces partages-là nous ont soudés intellectuellement, dans une amitié durable. J’ai eu la chance de rencontrer en Michel Butor le grand écrivain, l’immense érudit, l’enseignant qui aimait transmettre aux étudiants mais aussi l’ami des artistes, le bon vivant qui aimait « boire un coup » et qui était gourmand, qui avait de l’humour, bref un être familier et familial : Marie-Jo, son épouse, l’a souvent accompagné dans ses séjours et nous partagions leurs soucis et leurs joies ; nous-mêmes, avec Eberhard, faisions chaque fois étape à Gaillard lorsque nous revenions en France. C’est d’ailleurs au cours d’une de nos soirées chez Michel et Marie-Jo que j’ai décidé d’accepter un poste à Queen’s University au Canada – Michel m’encourageant à ce nomadisme universitaire et m’ayant promis de venir nous y retrouver ! Et il a tenu parole. – plus d’une fois!

Portrait de Mireille Calle-Gruber par Jérôme Panconi

Portrait de Mireille Calle-Gruber © Jérôme Panconi

 

Mireille Calle-Gruber et Michel Butor à La Maison de Balzac à Paris, le 6 décembre 2014

Mireille Calle-Gruber et Michel Butor à La Maison de Balzac à Paris, 15 mars 2015, dans le cadre du Printemps des poètes.

 

Oeuvre complète XI. IMPROVISATIONS

Œuvres complètes tome XI. IMPROVISATIONS, édition de la Différence

 

Mireille Calle-Gruber et Michel Butor à La Maison de Balzac à Paris, le 6 décembre 2014.

Mireille Calle-Gruber et Michel Butor à La Maison de Balzac à Paris, le 6 décembre 2014. L’étole de Mireille Calle-Gruber est une création de Françoise Hoffmann d’après un texte de Michel Butor, 2014, La Boutique Extraordinaire, Paris.

 

Pourriez-vous rappeler vos principales collaborations et travaux ?

 

C’est difficile à rassembler, trente-cinq ans d’une collaboration intense! Au risque de tomber dans l’énumération fastidieuse ou le catalogue tous azimuts.

Je voudrais d’abord dire que j’ai énormément appris aux côtés de Michel Butor qui m’entraînait dans des exercices toujours nouveaux, et m’obligeait à me dépasser. A la fin, c’était devenu un jeu entre nous, se lancer des défis en acceptant de répondre à des invitations. Il me disait : ah! Je n’ai pas envie de faire une « conférence », allez, nous allons faire un dialogue ensemble! Et nous ne préparions jamais trop : il était excellent dans ses réponses lorsqu’il était surpris par la question ou par l’approche. Nos « rencontres » sont innombrables : à La Maison de la Poésie, à La Maison de Balzac, à la BNF, au Collège de France, à La Librairie Compagnie, sur France Culture, à CitéPhilo de Lille, au Festival Cargo de Forcalquier, à la Maison Joë Bousquet de Carcassonne… C’était une sorte de nomadisme de la pensée. Nous nous sommes bien amusés.

Puisque nous en sommes au nomadisme : nous avons été dans divers pays à la faveur de colloques et ce furent chaque fois de grands moments. Au Canada, à Queen’s University où il est venu plusieurs fois, y compris en résidence une dizaine de jours pour faire un séminaire quotidien avec mes étudiants. Aux Etats-Unis, également, pour diverses occasions : à Elmira University, ce qui nous a permis de visiter les Finger Lakes en compagnie de Marie-Jo et aussi de Bertrand Dorny et Anne Walker ; à New York University accueillis par Tom Bishop ; et surtout au Congrès du MLA en 2002 organisé par Storrs University à Hartford/Connecticut, où, à part l’Entretien-vedette avec Michel Butor, j’avais pour tâche de lui faire visiter les musées ! Voir les musées en compagnie de Butor qui connaît tout, c’est une magnifique expérience! Il a son parcours, il va droit sur LE tableau qu’il faut voir, et vous explique tout! Il y a eu aussi le Japon (colloque organisé par Olivier Ammour-Mayeur et Midori Ogawa) où Michel et Marie-Jo étaient comme chez eux après un semestre de Professeur invité à l’Université Rikkyo. Il y a eu le Brésil où le colloque Butor à Belo Horizonte fut l’occasion d’une exposition des photographies de Marie-Jo légendées par Michel : Universos Parallelos – exposition d’autant plus émouvante que c’était le premier anniversaire de la mort de Marie-Jo… Le dernier grand colloque où nous sommes allés était à l’Université de Heidelberg de nouveau, organisé par Christof Weiand « Michel Butor, les graphies du regard ». Nos amis et collègues d’autrefois ainsi que quelques étudiants étaient au rendez-vous : nos pérégrinations universitaires avaient bouclé la boucle !

Une grande réalisation fut le film Michel Butor, mobile, tourné en 1999 chez Michel Butor à Lucinges pour l’INA, collection « Les Hommes-Livres « , collection qui avait pour protocole un grand entretien dans l’habitation et les paysages familiers de l’écrivain. A la surprise du réalisateur Pierre Coulibeuf qui s’attendait – qui sait pourquoi ?! – à ce que Michel Butor choisisse UN interlocuteur, c’est moi que Michel Butor avait désigné comme interlocutrice. A ma grande surprise aussi car il ne m’en avait pas parlé. Ce fut une aventure extraordinaire, toute la maison transformée en plateau de cinéma, Michel d’une patience angélique, nous improvisions, nous faisions des variations, il n’y avait pas de texte, c’est nous qui l’avons créé au fur et à mesure. Nous attendions la mise au point du son, des réglages de lumière, nous allions sur la montagne par le chemin de sa promenade quotidienne, magnifique en juin dans une profusion de fleurs, où les portraits de Michel hésitaient entre un Monet et un Renoir. C’est un très beau film, tourné en 35 mm, diffusé par Regards Production et le Ministère des Affaires Etrangères.

Nous sommes restés encore un peu dans le domaine du cinéma en écrivant à quatre mains le scénario d’un film de fiction long métrage : « Le Chevalier morose ». Là encore, quelle leçon de voir travailler les déclics de l’imaginaire Butor et la manière dont il montait aussitôt une structure, une ossature, une architecture ! Alors que j’étais, moi, plutôt dans le tissage et les liaisons du texte. On se complétait très bien. Nous avons tant brodé sur la carte déployée de Venise, appelant chacun nos souvenirs personnels, que je ne sais plus si je suis véritablement allée au cimetière San Michele ou si je l’ai rêvé dans notre fiction. J’aime beaucoup ce scénario qui est plein de poésie et d’art, et dont Venise, avec son histoire millénaire entre Orient et Occident, est le personnage principal. Demandé par Pierre Coulibeuf, ce scénario n’a pas eu de suite, le film n’a pas été tourné. Mais, du moins, nous avons publié ce texte dans une très belle édition, chez Hermann : on peut le lire, le rêver, rêver aussi qu’il soit un jour tourné enfin !

Parmi les grands travaux, il y a bien sûr la publication des Œuvres Complètes… forcément incomplètes… de Butor. De nouveau, surprise : c’est Joaquim Vital, l’éditeur de La Différence décidé à lancer la publication, qui m’apprit que Michel Butor souhaitait que j’en prenne la direction. Comment refuser un tel honneur… qui, je dois l’avouer, m’a d’abord quelque peu paniquée. J’avais tort : avec Michel toujours disponible pour les questions, la documentation, la relecture, ce fut certes un énorme travail mais aussi un énorme plaisir ! Il tenait beaucoup à cette publication ; et j’avais la chance de découvrir, dans le détail et dans la diversité de l’ensemble, une œuvre colossale dont on ne connaît généralement qu’une facette. Rétrospectivement, je me demande comment nous avons trouvé le temps (tout en continuant à vivre tout le reste) de publier 4 volumes, de plus de 1000 pages chacun, la première année ! De 2006 à 2010 nous avons publié 12 volumes soit près de 15 000 pages (J’avais aussi auprès de moi la précieuse assistance de Sarah-Anaïs Crevier Goulet et de Sofiane Laghouati, alors doctorants). Ces Œuvres Complètes, présentées dans une boîte-coffret façonnée par Jean-Luc Parant, sont une justice rendue à la créativité de Michel Butor d’une richesse unique. C’est aussi un cadeau fait aux lecteurs, artistes et écrivains de tous les pays du monde.

La dernière collaboration, qui fut fort insolite aussi, c’est le livre de photographies Michel Butor. Au temps du noir et blanc. Un jour que nous préparions, à Lucinges, une exposition pour la Maison Joë Bousquet à Carcassonne, Michel me confia près de 500 négatifs, bien classés et jamais tirés, qui dataient des années 1951 à 1961. Je lançai aussitôt une publication de ces magnifiques photographies qui avaient été faites à l’époque de l’invention du « Génie du lieu. »
(En Italie, Grèce, Turquie, Espagne, Grande-Bretagne, Etats-Unis), et qui dormaient depuis plus d’un demi-siècle ! Les éditions Delpire furent aussitôt accueillantes, Michel était enthousiaste et devait écrire des légendes, nous ferions un entretien et j’allais écrire l’introduction. Il organisa le séquencement des images, le dispositif du page à page, mais il est mort subitement le 24 août 2016 et n’a pu écrire les légendes. J’ai eu très peur que tout s’arrête, je voulais que ce livre existe, c’était comme si je le lui avais promis ! Avec un montage de citations prises dans tout l’Œuvre Butor (le travail des Œuvres Complètes m’a été profitable!), je suis parvenue à construire un Mobile textes-images très poétique et très cohérent … parce que cette galaxie Butor est en fait très cohérente dans sa multiplicité!

 

Michel BUTOR dans son bureau

Michel Butor dans son bureau de Lucinges, © Maxime GODARD

 

Le Chevalier morose

Le Chevalier morose, Mireille Calle-Gruber et Michel Butor, édition Hermann

 

 

 

Michel Butor au temps du noir et blanc, par Mireille Calle-Gruber, édition Delpire

Michel Butor au temps du noir et blanc, par Mireille Calle-Gruber, édition Delpire

 

 

Le Génie du lieu, Michel Butor, les cahiers rouges, édition Grasset

Le Génie du lieu, Michel Butor, les cahiers rouges, édition Grasset

Michel Butor et Miquel Barcelo en 2013 dans l'atelier de l'artiste; crédit Maxime Godard

Michel Butor et Miquel Barceló en 2013, dans l’atelier de l’artiste à Paris, © Maxime Godard

 

Michel Butor et Anne Slacik

Michel Butor et Anne Slacik, © Luc Ginot

Michel Butor et Pierre Leloup, 2000

Michel Butor et Pierre Leloup, 2000, © Maxime Godard

 

Michel et Marie-Jo Butor devant la maison A l'écart

Michel et Marie-Jo Butor devant la maison A l’écart © Maxime Godard

 

Cahier Butor n°1

Cahier Butor n°1, Compagnonnages de Michel Butor, édition Hermann

Pouvez-vous nous présenter la récente entreprise des Cahiers Butor ?

 

Avec une œuvre aussi polymorphe que celle de Michel Butor, je vous l’ai dit, les Œuvres Complètes ne peuvent être qu’incomplètes ! D’une part, elles s’arrêtent en 2010 alors qu’il a continué à écrire pendant 6 ans encore et toujours d’abondance. Mais aussi parce que le concept même de complétude comporte l’incomplétude et doit compter avec elle. Michel Butor a bien posé le problème : comment délimiter les « œuvres complètes » ? Quand peut-on considérer que c’est complet ou que ça ne l’est pas ? Outre les imprimés, il y a les manuscrits (masse énorme) ; il y a la correspondance (autre masse), que nous n’avons pas inclus. Puis il y a ce qu’il appelle du joli nom de « littérature dormante » : une terra incognita faite des conversations familiales autour de la table, des récits de famille, des échanges entre générations, des sagas généalogiques…. Et pour ce qui est de Butor, il y a en outre les milliers de livres d’artistes réalisés parfois à très peu d’exemplaires, œuvres confidentielles et rares qui ne passent pas par le circuit de la grande distribution ni par les échanges commerciaux.

Bien conscients du manque, Michel et moi avons très vite envisagé, pour les imprimés, des « Œuvres complémentaires ». Il les avait baptisées ainsi et y tenait beaucoup : ces livres-là auraient un format différent des 12 volumes « complets » et seraient moitié moins gros : 500 pages chacun. Nous avons esquissé une maquette, réuni les premiers textes, vous voyez, c’était l’archipel des textes Butor qui se formait… mais Joaquim Vital étant brusquement décédé, les éditions de La Différence ne furent bientôt plus en mesure d’assurer cette publication, et Michel y renonça, au moins momentanément.

C’est alors que germa l’idée de « Cahiers Butor » : au départ, il s’agissait plutôt d’un projet de poésie. L’idée fut lancée lors d’une Rencontre organisée par la Cave Littéraire et la Poéthèque de Villefontaine, sous la houlette de son Président fondateur Jean-Paul Morin, lequel avait convié avec Michel Butor le peintre-plasticien Max Charvolen et le poète Raphaël Monticelli. Je ne participais pas à cette soirée. Mais Michel Butor me mit au courant, me demandant de prendre la direction de ces « Cahiers ». Je proposai que la publication accueille ce que le format « Œuvres complètes » ne peut accueillir : à savoir les collaborations avec les artistes qui constituent une part tellement fondamentale de l’Œuvre-Butor. Elles sont à l’origine de textes plus longs ; il serait ainsi possible de restituer l’amont des gros livres et d’en éclairer la genèse toute singulière.

Pour cela, il fallait trouver un éditeur de qualité, non seulement compétent mais aussi qui soit ouvert à l’expérimentation artistique et à l’interdisciplinarité. J’ai eu la chance de rencontrer Philippe Fauvernier, directeur des éditions Hermann, et de travailler avec lui sur d’autres projets. Il a cette générosité de goût et de cœur qui valorise les œuvres : il a créé la maquette – sobre, élégante, entièrement en quadri – optimale pour que les travaux des artistes prennent toute leur dimension. Malheureusement, Michel était déjà décédé et n’a même pas pu voir ces premiers essais.

Nous avons projeté 7 volumes au rythme d’une publication annuelle. Le Cahier Butor 1, paru à l’automne 2019, je l’ai intitulé « Compagnonnages de Michel Butor« , car le moteur de l’œuvre, c’est bien cela : Michel Butor a cheminé pendant des décennies avec ses nombreux partenaires artistes, à eux lié par l’amitié et par l’apprentissage réciproque, tels les Compagnons artisans qui découvrent ensemble les secrets du métier. Et puis, ce premier Cahier qui paraissait après la mort de Michel, il était juste qu’il témoigne de l’enthousiasme et du partage qui ont toujours été la règle auprès de lui. Il y avait une chaleur de relations qui est rare et qu’il fallait restituer. Faire un Cahier à son image! Et je crois que c’est très réussi grâce à la participation de tous, les vieux compagnons comme les plus jeunes! Et dans divers domaines des arts.

C’est ainsi qu’on trouve la peinture avec Bertrand Dorny , Anne Walker, Francesca Caruana, Marie-Sophie Kilichowski, et avec les lavis de Colette Deblé ; les arts plastiques avec Jean-Luc Parant, Graziella Borghesi, Skimao; la photographie avec Bernard Plossu, François Garnier, Maxime Godard, Sophie-Lucie Meier, Marc Monticelli, Marie-Christine Schrijen ; la musique avec Henri Pousseur et Jean-Yves Bosseur ; les arts du livre-objet avec Françoise Maréchal-Alligand, Bernard Alligand, Richard Meier. La plus jeune des Compagnons, c’est Adèle Godefroy, photographe, doctorante à La Sorbonne Nouvelle qui a réalisé une très belle série d’images-Butor et qui a dirigé avec Jean-Paul Morin et moi ce premier numéro. L’ensemble est à l’enseigne de l’amitié avec un poème-portrait de Georges Perros par Butor, et un entretien que j’avais fait autrefois avec Jean-François Lyotard. Plusieurs universitaires ponctuent de leur réflexion cette galerie d’art : Marion Coste, Sarah-Anaïs Crevier Goulet, Khalid Dahmany, Henri Desoubeaux, Eberhard Gruber.

Les six Cahiers suivants seront consacrés, chacun, à un domaine artistique. La suite sera donc : N°2 Butor et les peintres – N°3 Butor et la musique – N°4 Butor et les objets – N°5 Butor et la photographie – N°6 Butor et le cinéma – Butor N°7 Butor, poétique et politique.
Autant dire que le Cahier N°2 est déjà en construction, cette fois c’est avec Patrick Suter, mon collègue de l’Université de Berne, que nous l’organisons. La peinture, c’est en grande partie affaire de livres d’artistes, et donc aussi votre affaire au Manoir des Livres. Nous consacrons un dossier à la présentation de ce lieu magnifique que Michel Butor a institué, dont il a rêvé – rêve que vous réalisez à présent, chère Aurélie, vous qui en êtes la directrice, et l’ordonnatrice des célébrations du livre d’artiste.