Catégorie: La parole à

Entretien avec Orlando et Dolores Blanco, fondateurs d’Editart

vendredi 28 janvier
La parole à

Présentation de l’actualité d’Editart :

Selon Vahé Godel, Editart est « une sorte de laboratoire international où peintres, écrivains et imprimeurs échafaudent des entreprises communes. »

Nous avons présenté pendant le mois de novembre 2021 une exposition au Nouveau Vallon de Chêne-Bougeries intitulée « Etincelles », réunissant des œuvres originales de nombreux artistes et sculpteurs.

Le Manoir des livres de Lucinges nous fait l’honneur de présenter du 4 décembre 2021 au 28 février 2022 une belle exposition « Editart : 50 ans d’édition – Rencontres et dialogues ».

C’est un aperçu presque complet de notre travail d’éditeurs et la présentation de plusieurs livres de notre collection vieille de 50 ans.
Le Manoir du livre est un écrin magnifique pour la présentation des livres d’artiste et nous sommes très heureux d’y exposer nos éditions.

Orlando et Dolores Blanco, décembre 2022, lors du vernissage de l'expositon consacrée à Editart au Manoir des livres

Comment est née l’envie d’éditer des livres d’artiste et dans quelles circonstances ?

Nous avons collaboré en 1967 avec l’écrivain Carlos Franqui pour l’édition d’un grand cartable avec l’un de ses poèmes et des lithographies signées de : Adami, Calder, Camacho, Cárdenas, César, Corneille, Erro, Jorn, Kowalski, Lam, Miró, Pignon, Rebeyrolle, Tàpies, Védova, plus 1 disque de Luigi Nono. A cette occasion, nous avons visité l’éditeur de cet ouvrage à Milan, Giorgio Upiglio, un grand maître-imprimeur avec lequel nous avons immédiatement lié une amitié qui aura duré jusqu’à son décès en 2013. Il nous a proposé de représenter ses éditions à Genève, ce que nous avons fait dans notre première galerie située au numéro 17 de l’avenue de Pictet-de-Rochemont à Genève.
Passionnés par ce travail, nous avons commencé à faire des expositions et à éditer des estampes de divers artistes, d’abord essentiellement réalisées par les artistes exposés et des livres d’artiste. Nous avons été guidés par Giorgio Upiglio qui nous a fait connaître dans son atelier les différents procédés de l’estampe. 
Le terme générique d’estampe sert à désigner toute « image » obtenue par impression d’une feuille de papier sur une planche gravée. Elle recouvre une infinité de techniques allant de l’aquatinte à la xylographie en passant par la lithographie.

Nous aimerions ici mentionner et exprimer notre gratitude à tant d’amis et amies pour leur aide, soutien et enthousiasme sans lesquels nous n’aurions pas pu réaliser toutes ces œuvres.

A combien d’ouvrages s’élève votre catalogue de publications après 50 ans d’édition ?

"Desaparición Figuras", Rebeyrolle, Valente, 1982
"Desaparición Figuras", réalisé par Paul Rebeyrolle et José Angel Valente en 1982

Nous avons compté 100 éditions entre livres d’art (32), gravures éditées sans textes (42), ainsi que les éditions pour les membres du Cercle des Amis d’Editart, mais cela sans compter les œuvres se trouvant dans les livres d’art, jusqu’à 12 lithographies par exemple dans le livre de Paul Rebeyrolle intitulé « Desaparición Figuras » avec des textes de José Angel Valente traduits en français par Jacques Ancet.
Il faut tenir compte du fait que nous sommes des éditeurs avec une petite équipe et que nous avons réalisé tout cela par nos propres moyens.

Comment avez-vous connu Michel Butor et dans quel contexte ?

Nous avons initié notre amitié avec Michel Butor en 1984 par l’intermédiaire de son ami, le poète Vahé Godel. Ont suivi de nombreuses rencontres amicales et professionnelles à Lucinges et à Genève. Nous avons rendu hommage à Michel pour ses 80 ans en 2006 dans l’exposition « Confluences » organisée à l’Espace Nouveau Vallon à Chêne-Bougeries.
Michel était toujours enthousiaste et ouvert à toutes nos propositions de livres avec les artistes. L’échafaudage des éditions, parfois la présentation des gravures, avaient lieu dans son bureau à l’Ecart où nous passions de longs moments de discussion et d’échange.

Michel Butor et Orlando Blanco à Lucinges, en 2015
Michel Butor et Orlando Blanco à Lucinges, en 2015

Pouvez-vous nous raconter votre première collaboration avec l’écrivain ?

Une première édition, « L’Office des Mouettes », est un magnifique texte illustré par trois grandes gravures au vernis mou de Cesare Peverelli. Enthousiasmés par ce texte, nous avons ensuite réalisé une plus petite édition avec trois petites gravures de Cesare Peverelli et une plaquette sans gravures. A cette époque, les deux auteurs se sont réunis à la galerie et ont réalisé sur le sol de grands rouleaux, « Kakémonos », réunissant la peinture de Peverelli et la plume de Michel.

D’autres éditions avec Michel ont été réalisées avec les artistes : 

  • Kouji Ochiai « Lueurs sur le cœur » avec un poème inédit ; 
  • Yuri Kuper « Sous le signe du gris » ; 
  • Baruj Salinas « Cantiques pour les trois enfants dans la fournaise » ;
  • Masafumi Yamamoto « La Roseraie inachevée », en français et en japonais ;
  • Rachid Koraïchi « L’ombre des vignes », trois poèmes de Michel intégrés dans la lithographie, ainsi que « Salomé », ouvrage manuscrit par Michel et dessins originaux de Rachid édité à seulement trois exemplaires.

Qu’est-ce qui nourrit votre passion dans la création de ces ouvrages mêlant poésie et art ?

Nous avons recherché et provoqué des rencontres entre peintres, poètes et philosophes pour rechercher un dialogue entre le monde visuel et littéraire. Nos vies ont été enrichies par ces contacts, enrichissement qui n’aurait pas existé sans cette passion. Des échanges et amitiés avec, par exemple, des poètes comme Michel Butor, Yves Bonnefoy, Sylviane Dupuis, Américo Ferrari, Vahé Godel, José Angel Valente sans oublier la philosophe Maria Zambrano, sont et resteront inoubliables. Quant aux artistes, nous avons eu le bonheur d’éditer, entre beaucoup d’autres, Calder, Chillida, Gabino, Garache, Miró, Tàpies, Venturelli, Zao Wou-ki.

Avez-vous envie de nous transmettre une anecdote sur la création d’un livre d’artiste ?

"Le Désordre", par Zao Wou-Ki et Yves Bonnefoy, 2004
"Le Désordre", par Zao Wou-Ki et Yves Bonnefoy, 2004

C’est bien connu que l’édition de livres d’artiste est onéreuse et les livres s’écoulent lentement.
En 1982, nous avons eu l’opportunité de réaliser une grande édition de trois poèmes avec trois eaux-fortes d’un célèbre artiste. Le tirage étant terminé, nous n’avions pas les moyens de payer ce travail. Nous avons alors contacté plusieurs clients appréciant le travail de cet artiste afin qu’ils achètent un exemplaire du livre sans l’avoir vu. Réussissant à réunir assez de souscripteurs, nous avons été à même de récupérer les eaux-fortes pour les réunir avec les textes.

Une autre anecdote concernant l’un de nos livres d’artiste :
En 2019, nous avons eu la surprise d’un appel d’une étudiante de l’Université de Genève-Unité de l’histoire de l’art, Laurie Bischoff, nous demandant notre accord pour effectuer son travail de recherche pour son master sur notre édition intitulée « Le Désordre » par Zao Wou-ki et Yves Bonnefoy. Elle est venue voir l’édition, était enchantée, et a préparé un excellent travail pour lequel ses professeurs lui ont accordé un « 6 ». C’est la première fois que cela nous est arrivé et nous sommes honorés et très contents du résultat de ce travail sérieux et approfondi sur notre « Désordre ».

Quels sont les projets de publication en cours ?

Notre prochaine édition intitulée « Rivages », dont la sortie est prévue cette année, parle des milliers de personnes qui, défiant les dangers de la mer, s’aventurent sur des embarcations de fortune pour atteindre les rives européennes. Les chanceux y arrivent, mais des milliers disparaissent.
Leonardo Padura, écrivain cubain et amoureux de la Méditerranée, a écrit plusieurs textes relatant cette catastrophe humaine. René Francisco, artiste peintre, également de nationalité cubaine, a illustré ces textes avec des lithographies de gants, les gants bleus de ceux qui arriveront sur nos rivages pour travailler manuellement.
Padura, René et nous-mêmes, sensibles à ce drame, dédions cet ouvrage à ces milliers d’êtres humains qui ont ainsi perdu leur vie.

Petit lexique utile ...

Aquatinte :
Procédé de gravure à l’eau-forte dans lequel l’utilisation d’une poudre de résine répandue sur la plaque et légèrement chauffée, permet à l’artiste d’obtenir une grande variété de nuances veloutées allant du gris clair au noir intense. L’emploi de l’aquatinte n’exclut pas celui, complémentaire, de toute autre technique.

Gravure au burin :
Procédé de gravure dans lequel l’artiste travaille sa plaque de métal à l’aide d’un burin, instrument d’acier à pointe carrée ou triangulaire.

Eau-forte :
Gravure à l’acide exécutée sur une planche préalablement recouverte d’un vernis que le dessin de l’artiste, réalisé à l’aide d’une pointe, élimine par endroits. La planche est ensuite trempée dans un bain d’acide qui attaque le métal mis à nu, le vernis étant pour sa part ultérieurement éliminé.

Lithographie :
Estampe réalisée à partir d’une pierre calcaire au grain très fin – aujourd’hui, le plus souvent, une plaque de zinc – sur laquelle l’artiste travaille à l’aide d’un crayon gras. Le dessin est alors fixé par un passage d’acide largement étendu d’eau. On lave ensuite la surface de la pierre sur les parties grasses de laquelle l’encre sera retenue alors qu’elle se trouvera repoussée partout ailleurs. La lithographie en couleurs nécessite l’emploi d’une pierre par couleur.

Pointe sèche :
Technique de gravure sur métal se rattachant à la gravure au burin et dans laquelle l’artiste œuvre à l’aide d’une pointe d’acier.

Sérigraphie :
Ce procédé d’impression, qui ne s’apparente pas à la gravure, utilise des écrans de soie ajourée à l’emplacement du dessin.

Taille douce :
Terme générique désignant la gravure en creux sur métal.

Vernis mou :
Variété de gravure à l’eau-forte qui se pratique à l’aide d’un crayon spécial sur une feuille de papier posée sur un vernis recouvrant lui-même la plaque de métal.

Lexique réalisé par Didier Romand.