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Entretien avec Roland Chopard, fondateur des éditions Æncrages Co

mardi 22 février
La parole à

Présentation de Roland Chopard, fondateur des éditions Æncrages & Co :

J’ai été enseignant en lettres dans un lycée professionnel dans les Vosges pendant 30 ans. Et je suis en retraite depuis 2004. 

Mais parallèlement à ce métier, j’ai fondé, en 1978, les éditions Æncrages & Co et je me suis constitué un atelier typographique qui m’a permis d’être autonome pour réaliser des livres, après une brève formation aux Beaux-Arts d’Epinal. 

Je me consacre maintenant essentiellement à la réalisation de livres d’artiste.

Roland Chopard dans son atelier

Comment est venue l’envie de réaliser et de publier des livres d’artiste / livres de dialogue ?

Quand tout cela a commencé ?

J’ai eu une formation à l’Université de Besançon en lettres modernes avec une option Histoire de l’Art. J’ai eu, dès le départ, l’envie d’associer des poètes et des peintres dans une revue, d’abord, puis dans des collections de livres courants. Mais très vite s’est imposée l’idée de ne plus systématiquement reproduire des œuvres dans les livres, ce qui correspond à des livres illustrés, mais de donner la possibilité aux artistes d’intervenir directement sur les pages des livres. Dans un premier temps, il s’agissait de quelques œuvres réalisées pour des exemplaires de tête concernant des numéros de la revue ou des livres courants. Mais j’ai eu envie ensuite de créer une collection spécifique.

L’édition de livres d’artiste dans notre maison d’édition est presque liée à ses débuts : les désirs des artistes et des poètes se sont manifestés très tôt, de nombreux livres avaient déjà ses caractéristiques, avant que la collection Livre d’artiste existe à partir de 2004. Le livre d’artiste précurseur est Dérivés d’Erival, réalisé avec le peintre Bertrand Vivin en 1983. Il se détachait des autres collections parce que c’était une publication en étroite collaboration avec l’artiste.
La collection Livre d’artiste se divise en deux : les livres imprimés en typographie sur beau papier BFK Rives 250 g et confiés aux artistes qui interviennent directement dans les pages, et, la série des Réminiscences qui a les mêmes caractéristiques techniques, mais qui est réalisée par les artistes en direct, à l’occasion de lectures performances. Il y en a eu 27 jusqu’à présent : la première date de 1993 et la dernière, avec Caroline Rubino et Anne Slacik avec un texte de Luis Mizon, date de 2018.

Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition ?

Æncrages & Co, Roland Chopard

Créée en 1978, elle a eu d’abord pour but de réaliser une revue avec des poètes contemporains, qu’à l’époque les grands éditeurs avaient tendance à négliger. Cette revue a publié 8 numéros, dont le dernier sur la traduction en 1988. J’ai eu envie de réaliser moi-même les publications en achetant du matériel typographique : casses de caractères, linotype, presse typo, …

Puis des collections sont apparues, de plusieurs formats selon les projets (Voix de chants, Ecrip(eind)re, Oculus, Lyre, Territoires) et plus récemment la collection Livre d’artiste.

Comment avez-vous commencé à collaborer avec Michel Butor ?

Dans ma première année d’études à l’Université, à la rentrée 1968, le Nouveau Roman était au programme, et j’ai découvert les romans de Michel Butor. J’ai eu l’idée, quelques années après la création de la maison d’édition, de demander par lettre, à l’auteur, un texte à éditer qu’il m’a confié volontiers. Il s’agissait d’une version de Fenêtres sur le passage intérieur que nous avons édité en 1982, puis, en 1988, a suivi Victor Hugo écartelé. Les échanges étaient donc d’abord épistolaires. Ensuite, il y a eu Survivre en 2010, et 24 Trièdres en 2011, les deux derniers livres courants étant Femmes de Courbet en 2017, et Jeux de Dames en 2018.

Quand et comment s’est déroulée la première rencontre / collaboration ?

La première rencontre a eu lieu en 2007 au salon d’Ornans où nous présentions, en présence de Michel Butor et de l’artiste Colette Deblé, Don Juan en Occitanie. Le livre avait été co-édité avec l’artiste. Il contient 103 poèmes de Michel Butor et chaque exemplaire a un poème différent manuscrit par l’auteur.

Il y a eu ensuite les rencontres aux différents salons du livre de Lucinges. Un premier livre d’artiste a été réalisé lors du premier salon de 2010 avec l’artiste Olivier Delhoume : Au Japon de Voltaire. Martine Jaquemet a très vite manifesté le désir de réaliser des livres d’artiste avec Michel Butor et la première édition de Lucinges a été faite en 2011.

Michel Butor et Martine Jaquemet, Salon du livre, Lucinges
Michel Butor et Martine Jaquemet, Salon du livre, Lucinges

Combien de livres d’artiste avez-vous réalisé ensemble ?

C’est à l’occasion de l’un de ces salons du Livre d’artiste, lors d’un dîner, que Michel Butor a émis l’idée d’une série sur les villes avec les contraintes suivantes : publier 7 livres avec 7 poèmes de 7 vers de 7 syllabes. C’est ainsi que 5 livres ont été publiés après Lucinges : Annemasse, Genève, Evian, Ferney, Baume-les-Dames. Mais le septième : Besançon, prévu en 2016, n’a pu être réalisé. Lucinges va connaître sa 3ème édition.

A cette série, il faut ajouter celui réalisé avec Olivier Delhoume, ainsi qu’un livre performance : 90, fait en public à l’Abbaye de Baume-les-Dames en 2016 pour fêter, avec quelques mois d’anticipation, l’anniversaire de Michel Butor. Sans oublier le premier Don Juan en Occitanie.

Il y a donc eu 9 Livres d’artiste, sans compter les rééditions de Lucinges, réalisés avec Michel Butor

Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur le processus de création des ouvrages avec Michel Butor et sur la création ?

Le livre d’artiste chez Æncrages & Co est une réalisation artisanale : la composition est faite en typographie (caractères de plomb mobiles ou lignes-blocs/linotypie), sur un beau papier BFK Rives de 250 g. Le tirage est de 20, 21 ou 30 exemplaires. Le principe est qu’une connivence existe entre le poète et le peintre que l’éditeur doit concrétiser. Selon Paul Ėluard « pour collaborer, peintres et écrivains doivent être libres. La dépendance empêche de comprendre, d’aimer ». Il s’agit,  comme l’a dit Yves Peyré, de parvenir à des « livres de dialogue ». Michel Butor avait depuis longtemps, et déjà pendant sa période dite du Nouveau roman, fait des expériences avec de nombreux artistes. Ces rapprochements m’ont toujours semblé évidents et naturels. Et ces livres réalisés avec Michel Butor constitue une belle collection.

Il s’est agi, chaque fois, d’imprimer en typographie les poèmes sur les villes et de confier les livres à Martine Jaquemet qui avait toute liberté d’intervention avec ses moyens plastiques : fusain, acrylique, notamment. Chaque livre a ainsi sa facture, ses couleurs et son originalité.

Sur quels projets travaillez-vous aujourd’hui ?

Les trois prochains livres, qui sont déjà chez les artistes Germain Roesz, Kate Van Houten et Daphné Bitchatch, s’intitulent Cinq poèmes pour le football du poète italien Umberto Saba, Kaimamiru de Déborah Heissler et Le Sang de l’églantier de la poétesse russe Anastasia Kharitonova.