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Georges Godin, libraire et ancien élève de Michel Butor

vendredi 02 juillet
La parole à

Présentation de Georges Godin

Georges Godin est d’origine canadienne. Après avoir suivi des cours de littérature à Nice avec Michel Butor, il décide de lui consacrer son sujet de thèse. Il poursuit une carrière d’enseignant en littérature avant de créer la librairie « les Antipodes » à Nice, 47 bis avenue de la Californie, fermée en 1988. Le nom de la librairie est un hommage à l’ami écrivain qui avait appelée ainsi sa maison niçoise. 

Il vit aujourd’hui à Biot.

La librairie de Georges Godin à Nice.

Quand et dans quel contexte avez-vous rencontré Michel Butor ?

J’ai tout d’abord rencontré le professeur Michel Butor à la Faculté de Lettres de l’Université de Nice. Jeune Acadien du Nouveau-Brunswick, j’étais arrivé en France à l’automne 1968, heureux bénéficiaire d’une bourse d’études qu’on pourrait dire « du Général de Gaulle », créée après son « Vive le Québec libre ! ».
J’étais peu familier du Nouveau Roman, je n’avais encore jamais lu une seule ligne de l’écrivain Michel Butor, dont le nom courait pourtant avec respect dans les couloirs de la Fac de Carlone. Je me suis donc empressé en 1970 de m’inscrire à son cours de « Pratique de l’écriture », concept importé des universités américaines où le « Creative writing » était une offre courante des écrivains universitaires. L’année suivante, j’ai également suivi son cours sur Proust.

Pour évoquer ma première rencontre avec ce professeur, je citerai l’introduction de ma thèse sur cet écrivain, intitulée « Discours pédagogique et discours littéraire chez Michel Butor », publiée plus tard sous le titre « Michel Butor. Pédagogie, littérature » :
« Michel Butor entre en classe, et il monte sur l’estrade.
A l’université de Nice, en cette rentrée d’automne 1970, nulle estrade autre que morale dans nos salles de cours ; nous pouvons pourtant parodier cette phrase initiale et d’autres éléments de la page d’introduction de « Degrés » pour situer notre première rencontre avec le professeur Michel Butor.
L’atmosphère était aussi tendue qu’au lycée Taine en octobre 1954… » etc., voir les quelques pages suivantes.

L'Université de Nice

Qu’est-ce qui vous a donné envie de consacrer votre thèse à l'écrivain ?

Ce sont avant tout les grandes qualités du professeur qui m’ont attiré, surtout le cours sur Proust et la direction de ma Maîtrise sur Beckett. D’où l’aspect pédagogie de ma recherche ultérieure.
Le premier cours, « Pratique de l’écriture », avait déçu certains étudiants dont je faisais partie. Tout écrivain, même en herbe, n’existe que dans la publication de ses œuvres ; or contrairement aux universités américaines, le milieu universitaire français n’offrait alors que peu de débouchés pour les publications d’étudiants. Aucun vrai poète ne rime que pour son professeur.

 
Par la suite, ma décision d’adopter l’écrivain Michel Butor comme sujet d’une thèse de Doctorat vient d’une anecdote dont je n’ai compris l’importance que bien plus tard. Ayant évoqué avec lui cette possibilité, puis ayant avoué mon ignorance de son Oeuvre, il est allé dans sa bibliothèque et est revenu avec un petit livre au titre étrange : « Dialogue avec trente-trois variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli ».
Ouvrage illisible pour moi. Magie ou provocation fort pédagogique, je me suis dit : « Ou cet homme est fou, ou c’est un génie ». J’avais dès lors absolument besoin de savoir, de comprendre.
Y suis-je arrivé ? Voir la dernière phrase de ma thèse : « Que nous veux-tu, Michel Butor ? »

Livre édité par Gallimard

Pouvez-vous présenter votre thèse en quelques mots ?

Tout en admettant le fait que Michel Butor ait pu mériter le qualificatif de « cérébral », que son discours soit fréquemment didactique, que l’enseignant soit souvent présent dans son œuvre, et pas seulement dans Degrés, je me suis sans cesse efforcé, dans cette thèse, de distinguer le discours didactique du discours pédagogique. L’un et l’autre qualificatifs ne sont pas exactement synonymes.
Dans une première partie, « Triptyque sur tableau noir », j’ai tenté de réaliser trois « portraits » de l’artiste : en étudiant, en lecteur et en professeur. J’ai conclu par une esquisse de l’écrivain non pas comme artiste, mais comme « artisan en chambre », c’est-à-dire dans son atelier.
La seconde partie a été une recherche des « fondations attrayantes et passionnées » de l’Oeuvre butorienne. Etude à la fois des influences, des thèmes et des manières de pratiquer l’écriture.
Ma troisième partie a consisté à montrer l’Oeuvre de l’artisan Butor comme un outil à « triple tranchant », à la fois épée de l’engagement, car toute écriture véritable est engagée ; bistouri, car toute œuvre d’art vise une guérison, de soi, de l’autre et de la société ; charrue, car toute création est un travail, semence ou construction.

Thèse de Georges Godin publiée par Brèches.

Par la suite, quels furent vos rapports avec l’écrivain ?

Tout d’abord, nos rapports pendant la rédaction de ma thèse ; je cite mon introduction : « Je lui ai d’abord rendu quelques visites bien timides, comme étudiant ; puis sont venues certaines rencontres assez formelles, où mon sujet de recherche se montrait fort complaisant et coopératif ; mais peu à peu le vernis universitaire s’est craquelé, les masques – l’écrivain célèbre et le chercheur respectueux – se sont mis à fondre et bientôt nos rencontres ont ressemblé de plus en plus à des visites amicales. Jamais de notes, encore moins de magnétophone… la vraie connaissance s’insinuait enfin. Avec elle, une difficulté sans cesse croissante de conserver à mon travail une allure de recherche objective, etc... ».
A cette même époque, j’ai eu l’honneur et le plaisir d’effectuer un travail pour celui qui devenait un ami, bien que toujours vouvoyé. J’ai pu fouiller dans des cartons de correspondances, en ressortir les lettres de Georges Perros et les classer par ordre chronologique. Cette correspondance Butor-Perros sera ensuite publiée aux éditions Ubacs, puis chez Joseph K.


Après la soutenance de ma thèse, en 1982, Michel Butor et moi avons continué à nous revoir à plusieurs occasions, dont je ne retiendrai que les plus importantes… pour moi.
D’abord sur l’Ile de Vancouver, à l’Université de Victoria où j’enseignais en 82-83. Nous avons découvert ensemble le Passage intérieur de la Colombie Britannique. Je cite le « frontispice à (mon) livre » que Butor a titré « Fenêtres sur notre passage intérieur » :
« Vous étiez seul, moi aussi, nous en avons profité pour quelques excursions avec la voiture branlante que vous vous étiez procurée. La plus mémorable est certainement celle qui nous a amenés jusqu’à Prince Rupert près de la frontière de l’Alaska et qui est à l’origine d’un certain nombre de textes rassemblés dans Fenêtres sur le Passage intérieur. »
Plus loin : « Toutes ces images, vous me les avez données, et je suis heureux de cette occasion de les relier à leur origine. (…) Il y a déjà des années. Je n’avais pas encore de barbe. Je crois que c’est peu après notre retour à Victoria que j’ai appris que j’étais grand-père. »
Il m’a alors annoncé que, comme Victor Hugo, l’art d’être grand-père lui commandait d’être désormais barbu… ce qu’il est devenu.

Photomontage réalisé par André Villers pour Butor par le menu, publié par Georges Godin.

Parmi nos autres rencontres, je n’évoquerai que les deux suivantes. 

En 1987, nous avons été invités par l’Université du Québec à Montréal, à l’occasion de la parution de ma thèse, publiée aux éditions Hurtubise, et surtout pour marquer l’ouverture d’un fonds Michel Butor. L’essentiel de ce fonds est constitué de très beaux livres, comme le Bicentenaire Kit avec Monory, objets d’art et de poésie qui m’avaient été offerts par Michel lui-même au cours de toute ma recherche.
Je conclurai, sans entrer dans les détails, par une très belle aventure, pour moi : la préparation, les échanges, le travail avec Butor, André Villers, Vincent Miraglio (meilleur apprenti cuisinier de France en 1980) et d’autres, le « dîner des butorophages », la rédaction et enfin la parution de « Par le menu », édition Librairie Les Antipodes, 1988.

 
Ce fut le couronnement d’une fort longue et très belle rencontre avec ce merveilleux Michel Butor, pour moi un très bon professeur, un excellent écrivain et surtout un père spirituel qui m’a accompagné et m’accompagnera toute ma vie ?

Butor par le menu, édition librairie les Antipodes, 1988.

Pourquoi aujourd’hui réaliser une donation en faveur de l’Archipel Butor ?

Je me contenterai de citer ce que j’ai répondu aux remerciements d’Agnès Butor (fille de l’écrivain) à ce sujet :

« Chère Agnès,
Je me permets de m’adresser à vous par votre prénom, car je vous ai connue très jeune fille en 1970, et c’est le souvenir que j’en garde.
Concernant le don à Lucinges, c’est peu de choses comparé à ce que j’ai reçu pendant des années, soit de votre père, soit de nombreux artistes avec lesquels il a travaillé.  Les plus belles pièces ont été offertes en 1987 à l’UQAM, Université du Québec à Montréal, don complété par Michel et par certains éditeurs. Ce qui restait, je l’ai offert au musée de Lucinges car j’ai un certain âge, je ne veux pas que ce soit perdu, et je ne pouvais pas vendre ces si beaux cadeaux qu’on m’avait offerts si généreusement.
Considérez donc que ces dons posthumes sont offerts par mes amis André Villers et Michel Butor. »

Lettre de recommandation de Michel Butor à Georges Godin, 1976.

Propos recueillis en juin 2021.

Librairie les Antipodes, créée par Georges Godin à Nice.
Invitation au repas des Butorophages.
Michel Butor à Cerisy pour des conférences, début des années 80.