Catégorie: La parole à

Olivier Delhoume, médiateur, artiste, auteur et photographe

jeudi 10 juin
La parole à

Biographie

Artiste, photographe, auteur et médiateur culturel, Olivier Delhoume consacre toute son énergie à promouvoir les arts et la culture, tout en construisant une œuvre multiforme. Il pratique la photographie depuis l’âge de quinze ans et obtient un diplôme professionnel en 1978. La peinture, la sculpture, la mosaïque et la création de mobilier liturgique l’ont conduit à exposer dans de nombreux pays et à honorer des commandes publiques. Cependant, la photographie reste son mode d’expression et de création privilégié.

Tourné vers les autres, il se définit comme un passeur qui met en valeur tant les artistes que les différents publics. La rencontre est un aspect fondamental de sa démarche qui s’appuie sur des actions de terrain et des conférences, mais aussi lors d’émissions de radio et de télévision qu’il programme, produit ou présente en France et en Suisse depuis les années 80. La presse constitue aussi un levier important de sa démarche. Depuis 1976, il a publié des entretiens avec des artistes et écrivains dans la presse régionale française, dans le magazine Art Passions et pour de nombreuses publications et catalogues d’expositions.

Portrait d'Olivier Delhoume

L’édition est un secteur qui le passionne depuis le plus jeune âge. Il a publié plusieurs portfolios, des livres d’artistes et des ouvrages en édition courante. Ses contributions à des ouvrages collectifs sont de plus en plus nombreuses, suite à l’encouragement de Michel Butor.

Dès 2011, il travaille à la construction d’un nouveau Centre culturel pour la Ville de Versoix (Genève, Suisse). Il en devient le directeur puis, à la demande des autorités communales, chef du service de la culture. Ce lieu culturel est nommé Le Boléro, afin de rendre hommage à la famille Ravel originaire de Versoix. 

Le Boléro comprend une Galerie d’exposition, une Bibliothèque-Médiathèque, un Hall culturel et un restaurant bistronomique qui propose des concerts chaque fin de semaine.

Le Bolero, Centre culturel de Versoix

Quand et dans quel contexte avez-vous rencontré Michel Butor ?

J’ai rencontré Michel Butor sur les conseils de Christian Bernard, alors directeur du Mamco (Genève), à qui j’avais présenté mon travail sur les jardins de rues au Japon. Sur l’entremise de Charles Méla, directeur de la Fondation et Musée Martin Bodmer (Cologny) et ami de Michel Butor, la rencontre avec Michel a pu se faire à Lucinges en 2005.

Il a été immédiatement séduit par ces fleurs de trottoirs qui attestent de la présence humaine et d’une certaine vie de quartier dans les grandes mégapoles japonaises. Nous avons, depuis lors, entretenu avec Michel une correspondance régulière, rythmée par des interventions dans mes émissions de radio et de télévision, des événements le mettant à l’honneur tant à Genève qu’à New York. Notre collaboration a produit plusieurs ouvrages en édition courante et quelques portfolio et livres d’artiste. Très régulièrement, je répondais à l’invitation de Michel pour me rendre « A L’Ecart ». C’était l’occasion de parler de son actualité, de ses projets et de « refaire le monde ». Les conversations étaient alimentées de whisky dont nous partagions la passion avec modération et que Michel commentait et décrivait avec la connaissance encyclopédique que nous lui connaissions. N’avait-il pas nommé Oban, l’un de ses chiens Labrador?

Maison de Michel Butor "A l'Ecart" à Lucinges.

Quelles sont vos principales collaborations avec l’écrivain ?

2006 – 2007

Organisation de l’exposition des 80 ans de Michel Butor au Parc des Bastions (Genève), texte de la plaquette « Michel Butor, le grand dessein » pour la Ville de Genève

2010 

Publication du livre « Au Japon de Voltaire » (Ed. Æncrages & Co), avec une performance au château de Voltaire (Ferney-Voltaire, France)

Publication du livre « Jardins de rue au Japon », (Ed. Notari)

Exposition « Jardins de rues au Japon », Flux Laboratory (Genève)

2012 

“Geneva meets New York”, festival de Genève à New York

Organisation de trois événements en hommage à Michel Butor dont la remise de la Médaille d’honneur de la Présidence de la New York University

« Au banquet de Rousseau », conférences sur le thème de la nature, Serres de Prégny-Chambésy (Suisse) et « Faut-il bruler les livres ? » à la BGE-Bibliothèque de Genève

2013

Publication du livre « Le temps du Japon » (Ed. Notari). Double livre avec Michel et Marie-Jo Butor « Cent instants japonais »Contributions de Jacques Boesch et Lucien Curzi.

Expositions : « Le temps du Japon », Flux Laboratory (Genève) et Flux Schiffbau (Zurich)

2014 

Exposition : « Le temps du Japon », Manoir des livres (Lucinges) et Galerie Lee (Paris)

2015 

Exposition : « Le jardin des belles lettres », art et littérature autour du Michel Butor (Boléro, Versoix)

2016

Publication du livre « La grande armoire » (Ed. Notari)

Contribution pour « Dix-huit lustres – Hommages à Michel Butor » (Ed. Classiques Garnier) et aide à l’édition du livre

2017 

Contribution pour « Jazz & Lettres – Improvisation sur Michel Butor et le Jazz »  (Ed. Notari et Fondation Bodmer), prêts pour l’exposition.

« Dix-huit lustres – Hommages à Michel Butor » (Ed. Classiques Garnier)
"La grande armoire", éditions Notari

Conférences et interventions sur Michel Butor :

2011  

Animation du colloque du Livre d’artiste, « Matière(s) à lire, Poésie à toucher » (Lucinges)

2016  

Centre Joe Bousquet (Carcassonne) : Intervention sur le thème « Michel Butor, un esprit de familles »

2018  

Musée Barbier Mueller (Genève) : « Voyages avec Michel Butor »

2019  

Fondation et Musée Martin Bodmer au Manoir de Cologny : « Voyages au Japon avec Michel Butor, Voltaire et Nicolas Bouvier »

Conférence à la Fondation Barbier-Mueller

Comment se déroulait la création d’un livre avec Michel Butor ?

Sa plus grande joie est de découvrir une nouvelle « matière à écrire », et non pas à décrire. Il prend le temps de regarder attentivement chaque image ou chaque motif. Son œil frise, on le sent partir déjà très loin, vers de nouveaux horizons qu’il contribuera à ouvrir. Puis, sa voix douce commence à exprimer ce qu’il ressent, à évoquer tous les possibles dont ceux que je n’avais pas entrevus. Ensuite, il interroge, demande comment j’imagine le volume contenant le tout.

À chaque fois, mes propositions furent acceptées avec enthousiasme par un : « Alors, on y va ! ». C’est le cas pour le petit livre carré, symbole d’humanité, que l’on peut glisser dans sa poche pour découvrir Les jardins de rues au Japon, avec une entrée à la française et celle à la japonaise avec la traduction de son texte. Encore pour Au Japon de Voltaire, alternance de calligraphies et de mots voltairiens où il souhaite interpeller Voltaire, en double page centrale, sur ses démarches commerciales. Et aussi pour le double livre Le temps du Japon-Cent instants japonais, composé à six mains avec Marie-Jo. Là encore, un ouvrage à double entrée.

Et le silence, l’absence. Qu’est devenu Michel ? Aucune nouvelle ! Impatience… Retour à Lucinges sur l’invitation de Michel : je découvre un texte cousu sur mesure, au-delà de ce que je pouvais espérer. Il éclaire la matière proposée, réagit en contrepoint et projette l’ouvrage dans un territoire inexploré. Il s’est nourri des images et leur apporte toute la profondeur et l’émotion que nous avions simplement effleurées. « Voilà ! » lance-t-il, fier de la tâche accomplie. Et la matière à lire et à toucher peut partir à l’impression.

Le retour des volumes reliés est l’occasion de célébrer un chemin parcouru à deux, d’une aventure commune et d’une confiance confirmée une fois de plus. La main caresse la couverture. Il va au colophon, mesure la qualité de l’impression, sent l’odeur de l’encre. Il ne reste plus qu’arroser cela. Mais avant, il range les ouvrages qui lui sont réservés en signalant la répartition de ceux qui partiront à tel fonds ou à telle bibliothèque. Et maintenant ? Michel attend un nouveau projet, vous interroge sur vos travaux en cours. Insatiable !

Vous avez également réalisé un travail avec Marie-Jo, son épouse. Pouvez-vous nous en parler ?

Très régulièrement, je faisais le chauffeur pour conduire Michel et Marie-Jo à des événements que j’organisais ou pour des visites à leurs amis. En 2012, alors que nous sommes dans la voiture de retour d’un déjeuner avec Jean Starobinski et son épouse, je provoque amicalement Michel sur le fait qu’il est l’auteur de très nombreux livres et que Marie-Jo, malgré sa reconnaissance comme photographe et ses expositions à succès, n’en avait publié aucun. J’estime que cela est injuste. Michel s’en amuse. Sa barbe frise, alors qu’il regarde la route, droit devant lui… « En effet ! et pourquoi pas ? » lance-t-il. Marie-Jo, confuse par mon intérêt, évoque modestement les nombreuses photographies qu’elle a prises au Japon. J’annonce : « Eh bien, c’est fait ! ». Je propose d’éditer un double livre qui aurait son entrée avec les images de Marie-Jo et une autre avec les miennes. Le tout avec un texte de Michel qui nouerait la gerbe.

Après un déjeuner avec son ami Jean Starobinski
Portrait de Marie-Jo-Butor, 2010, par Olivier Delhoume

Rappelons-nous que lors d’un voyage au Japon, Marie-Jo avait reçu en cadeau un appareil compact. Michel la voyant saisir de nombreux instantanés, décida d’abandonner la photographie pour la laisser libre et ne pas entrer en « concurrence ». Intéressé par les résultats découverts au retour de ce voyage, Michel avait écrit des textes pour accompagner les images. C’est ainsi que le livre s’est fait naturellement. Luca Notari fut emballé par ce projet et Le temps du Japon-Cent instants japonais paru en 2013.

 

Cette passion commune pour le Japon vous réunissait. Elle a donné lieu à la réalisation de trois livres. Pouvez-vous nous en parler ?

Le premier fut Au Japon de Voltaire publié aux édition AEncrages and Co en 2010. Le service culturel de Ferney-Voltaire souhaitait organiser un événement culturel et artistique dans le grand salon du château de Voltaire. Naturellement, j’ai proposé un thème autour du Japon et de Voltaire qui avait signé, dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le chapitre sur ce pays, bien qu’il n’en fut pas tout à fait l’auteur. Les éditions AEncrages proposèrent de publier un livre d’artiste à douze exemplaires pour marquer l’événement. J’ai travaillé tout un hiver à des calligraphies symbolisant les mots clés de ce chapitre de l’encyclopédie. La mise en forme s’est articulée entre les encres originales, les mots typographiés et un texte de Michel.

éditions AEncrages and Co
éditions Notari

L’événement s’est tenu en soirée dans le salon de Voltaire en présence de Michel, des autorités régionales et genevoises et des diplomates japonais en poste en Suisse. J’ai réalisé, sur place devant un public de près de 200 personnes, les 144 calligraphies dans les volumes dont les typographies étaient pré-imprimées, accompagné du regard bienveillant de Michel, de la lecture des textes par un comédien et la musique d’un joueur de flûte shakuhachi.

Après la signature des volumes par Michel et moi-même, la soirée s’acheva par un diner privé au premier étage du château. Ce fut une soirée mémorable pour Michel qui avait répondu par un texte à l’encre rouge La colonie des horlogers, à la lettre de Voltaire envoyée le 11 mai 1770 à la duchesse de Choiseul.

Ce fut ensuite Les jardins de rue au Japon publié aux éditions Notari, toujours en 2010. Michel était fasciné par ces fleurs de trottoirs qui marquent la présence humaine dans les mégapoles japonaises. Nous nous sommes retrouvés, une fois de plus, autour de cette humanité invisible des regards peu sensibles. Ce fouillis végétal opposé au trafic des voitures, crée des passages aventureux pour les piétons qui doivent éviter les gamelles et les vieux pots de plantation. Ces jardins hors sol, bien loin de l’esthétisme attendu en l’archipel, ne sont ni beaux, ni harmonieux. Mais ils sont très présents et attestent d’une vie de quartier et d’un bon voisinage. Ce travail fait écho au livre Les gens de peu de Pierre Sensot (anthropologue, philosophe et sociologue français) et à ceux qui se contentent d’une vie modeste mais pleinement vécue.

Enfin, il y eu Le temps du Japon – Cent instants japonais (édition Notari, 2013) dont j’ai décrit le surgissement dans le paragraphe précédent.

Nous partagions avec Michel un grand intérêt pour le Japon. J’ai eu l’occasion de décrire cela lors de conférences au Musée Barbier-Mueller de Genève en 2018 et pour la Fondation et Musée Martin Bodmer au Manoir de Cologny en 2019.

éditions Notari

Connaissez-vous l’œuvre photographique de l’écrivain et quel regard portez-vous sur Michel Butor photographe ?

Pour différentes publications des photographies de Michel et afin de lui rendre service, j’ai effectué un travail de numérisation de négatifs et l’édition des images en noir et blanc. Ainsi, j’ai pu analyser une cinquantaine d’images qu’il avait réalisées entre 1951 et 1961 en Turquie, en Grèce, en Espagne, à New York, San Francisco, Paris, Rome, Venise, Vérone, Londres… Cela m’a permis de pénétrer son regard.

Les photographies sont de format carré, issues de son appareil 6×6. Les compositions sont puissantes, parfois décadrées pour permettre le surgissement du sujet principal. Souvent, la ligne d’horizon borde le cadre supérieur laissant apparaitre une marge de ciel afin de placer le paysage en plein cadre. Des perspectives ou une simple ligne horizontale appuient la présence du personnage. Certaines images apparaissent en abstraction, des fragments de sujets ou de matières captent la lumière. Les courbes enlacent des lignes droites. Si quelques images d’architecture ou de bord de mer peuvent ressembler à des cartes postales, je les place plutôt dans une démarche documentaire, à l’exemple de la Mission héliographique de 1851 des Legray et Mestral, Baldus et Le Secq. Ainsi, on retrouve une haute tradition mais aussi un style moderne dans les photographies de Michel où dialoguent et parfois se confrontent l’ombre et la lumière.

Michel Butor, Salonique, 1955, tirage noir et blanc réalisé avec un appareil Semflex, collection du Manoir des livres
Michel Butor, New York, 1960, tirage noir et blanc réalisé avec un appareil Semflex, collection du Manoir des livres

Le photographe partage sa vision du monde avec ceux qui découvrent les images. Qu’y a-t-il de plus intime que d’emprunter l’objectif de l’opérateur des prises de vues ? Regard d’objectif, vision subjective, recomposition du monde. Michel est un esthète. Il photographie comme il écrit.

Même si le déclanchement se fait en une fraction de seconde, la préparation du voyage l’invite à choisir ses chemins sur le terrain et aiguise déjà son regard. Une photographie est rarement prise au hasard. Sa maturation s’est faite, bien avant le départ, par des lectures et l’impatience de ceux qui veulent reconnaitre sur place ce qu’ils avaient pressenti. L’imprégnation du lieu, de son passé et du présent, mature sa sensibilité aux choses et aux gens. Ainsi, Michel se laisse conduire par une intuition nourrie d’un grand savoir. Et cela n’empêche pas l’émotion. Si, parfois, la photographie est un carnet de notes qu’il utilisera pour rédiger quelques lignes ou plus, Michel pratique cet art, le plus souvent, au sens étymologique du terme : écrire avec la lumière.

Après avoir arrêté de pratiquer cet art, Michel me confia qu’il continuait de photographier mais sans appareil. Avec son regard uniquement et depuis toutes ces années, il n’avait cessé de capter l’esprit des lieux.

Quels sont pour vous les principaux apports de l’écrivain dans sa relation avec la photographie et les photographes ?

Michel encourage les photographes par l’attention qu’il leur porte. Rien d’anecdotique pour lui, une gourmandise. Parcourir un portfolio, c’est un voyage de sensations et d’inspiration qui lui donne envie de convoquer mille idées et de se mettre à l’établi. Il n’a jamais considéré la photographie comme un art mineur.

Si souvent les livres ou les expositions de photographies bénéficient d’une introduction, voire d’une analyse, Michel pratiquait autrement. Il pénètre dans les interstices des images sans les décrire. Il en fait ressortir une musicalité qui ouvrent les regards. Les images sont muettes mais Michel en compose la bande originale et leur donne la parole.

Quels sont vos projets actuels et publications à venir ?

La plus récente publication est celle des Presses universitaires de Perpignan Images in situ, Les frontières de l’image. Marion Coste y propose une analyse critique du livre La grande armoire. Elle y met en relief la relation entre les textes de Michel et mes photographies. Il y aura à poursuivre les rencontres et les débats à partir de ce texte remarquable.

Les projets sont nombreux mais il s’agit, maintenant, de bien choisir ceux qui arriveront à terme. Trois suites photographiques sont en chantier traitant du tourisme, du ciel et de la ville. Après avoir travaillé sur mes archives, je prépare l’édition de mes tirages en noir et blanc réalisés depuis 1975. Michel me manque terriblement mais il faut poursuivre.

 

Éditions Presses universitaires de Perpignan
Olivier Delhoume, juin 2021